Faux et usage de faux
Troisième volet d’une saga commencée en 2007 chez Gallimard, « Les Producteurs » allient un rythme enlevé, une intrigue bien tricotée et une analyse corrosive des réseaux sociaux.
Après les « Falsificateurs » et les « Eclaireurs », voici donc les « Producteurs ». On y retrouve le héros de cette saga, l’Islandais Sliv Dartunghuver. Il appartient à une organisation ultra-secrète, le CFR, c’est-à-dire le Consortium de Falsification du Réel. Cette organisation souterraine, tentaculaire et richissime, a été créée il y a deux cents ans par un certain Pierre Ménard. Petit clin d’oeil au passage à Jorge Luis Borges qui a créé une fiction célèbre « Pierre Ménard, auteur du Quichotte ». Refermons la parenthèse.
L’objectif du Consortium de Falsification du Réel, forte de 200 membres, 150 bureaux et 1000 antennes, est de faire le bien. Projet vaste et généreux, mais assez insaisissable. Tous les moyens sont bons, à commencer par la falsification des données historiques. Qu’il s’agisse de sauver la tribu des Boshiman du Kalahari en voie d’extinction. De favoriser le développement du Timor-Oriental en inventant des signes de leur décollage économique. D’inventer un pseudo-code de la mafia calabraise, une fausse branche du Mossad ou des archives bidon de la Stasi. De faire parler un faux compagnon de cellule de Mandela. Ou de truquer les statistiques pour renforcer le discours écologique sur le réchauffement climatique. La seule chose qui soit interdite par les statuts du CFR , c’est de procéder à des assassinats. Il arrive aussi parfois pourtant que des projets dérapent. Ainsi la création d’une fausse fatwa de Ben Laden à l’égard de l’Amérique s’est retournée contre ses auteurs.
Le CFR comporte deux catégories d’agents. Les scénaristes, c’est-à-dire ceux qui inventent les histoires, le meilleur d’entre tous étant Sliv Dartunghuver. Et les faussaires, qui créent de faux documents pour étayer les scénarios, la meilleure étant Léna Thorsen. Les documents produits par les faussaires doivent irréprochables, sinon le scénario, aussi pertinent soit-il, s’effondrerait.
Sliv et Lena vont inventer une tribu maya, les Chupacs. Contrairement aux autres Mayas, les Chupacs refusent les sacrifices, les massacres, les automutilations. En revanche, ils ont inventé un jeu de balle pacifique qui serait un dérivatif à la violence endémique des Mayas. Monter en épingle la sagesse chupac face à un monde pétri de violence serait une façon de démontrer qu’un message de paix universelle est possible même dans un monde en guerre. Pour y parvenir, nos deux as du faux vont créer un faux Codex maya. On connaît quatre Codex dans le monde et toute l’idée est d’en faire remonter à la surface un cinquième. Bien sûr, il faut qu’il soit techniquement parfait. Mais surtout, il faut que le contenu soit plausible et cohérent avec la religion des Mayas, leur cosmogonie, leurs rites, leurs jeux, comme le fameux jeu de balle ...
Enlevé, drôle, incisif, corrosif : « Les producteurs » séduit. D’abord parce que le roman raconte de la mystérieuse civilisation maya. Mais aussi par la manière dont Sliv et Lena vont utiliser les réseaux sociaux et les médias pour faire vivre leur scénario. Le succès de l’« Opération Chupac », via l’utilisation des tweets et de facebook, dépasse leurs inventeurs et vire à la folie mondiale. Le jeu de balle chupac devient le must absolu, rivalisant avec le super bowl et éligible aux Jeux Olympiques. Sans parler d’un hilarant skipper chargé de retrouver le « cinquième codex » dans une épave au large des côtes du Mexique. On pense parfois à Evelyn Waugh (« Scoop ») revisité par Mac Luhan ( « Le medium est le message »). Le roman fait plus de cinq cents pages, mais on ne le lâche pas. Il ne faut d’ailleurs pas le lâcher car les toutes dernières pages recèlent quelques surprises…
Nouvelles leçons de falsifications
PRESENTATION CRITIQUES TRADUCTIONS